J'ai lu quelque part qu'on aime généralement les paysages qui reflètent notre type de personnalité. Certains aiment la montagne et ses vertiges, d'autres préfèrent la sensualité des mers chaudes, la sauvagerie des forêts vierges, la solitude du désert. Eh bien moi, c'est le plat pays de la Flandre-Occidentale qui m'inspire le plus. Qu'est-ce à dire de mon caractère? Euh... Disons que j'aime voir loin et avoir l'impression de pouvoir toucher le ciel.
Par une matinée partagée entre pluie et soleil, j'ai traversé ce paysage de champs multicolores et de canaux miroitants avec des amis en direction du village de Watou. Nous allions dîner au restaurant 't Hommelhof, qui, sous la gestion du chef Stefaan Couttenye, se spécialise depuis des années dans une cuisine du terroir simple mais raffinée, où la bière est dans les plats comme dans les verres qui les accompagnent.
Watou est un patelin tranquille, et, en ce jeudi après-midi, on se serait cru dimanche. Mais, sur la place du village, juste devant le restaurant, nous attendait l'imposante silhouette de Hugo Claus, poète et artiste né dans la région---silhouette découpée dans une plaque de métal, à côté d'un tronc d'arbre mort dans lequel était planté, de biais, un grand miroir reflétant l'église. On comprend que la culture et l'art sont bien vivants dans ce hameau apparemment endormi depuis des siècles.
Même chose quand on entre au 't Hommelhof : plancher de bois, tables aux nappes blanches, chaises rustiques, dentelle aux fenêtres, murs aux couleurs neutres, comptoir de bois enguirlandés de houblon frais, tout cela évoque la tradition. Mais dans l'assiette, comme nous allions le découvrir, les ingrédients de première qualité, pour la plupart provenant de la région, éclatent de vie, d'originalité et de fraîcheur.
Confortablement assis au soleil dans la première salle du restaurant (il y en a plusieurs, et aussi une terrasse), prés d'une fenêtre donnant sur la place, nous avons choisi le Menu du brasseur, constitué d'une entrée, d'un plat et d'un dessert, le tout offert à un prix modeste pour sa qualité. Une bière était suggérée pour accompagner les deux premiers services, qui étaient préparés avec de la bière. En apéro, nous avons commandé une Cuvée 't Hommelhof, brassée spécialement pour le restaurant par la brasserie Van Eecke (située à Watou), que nous avons bue avec des amuse-bouches offerts par la maison. Cette Cuvée n'est pas, à mon avis, une grande bière, mais elle était fraîche en bouche avec quelques olives épicées et anchois salés.
La première serveuse qui est venue prendre notre commande semblait passer une mauvaise journée; ça arrive à tout le monde. Elle a d'ailleurs été remplacée, pour la suite du repas, par une charmante jeune fille au sourire contagieux qui a su nous vanter les charmes des plats qui nous avions choisis.
Et ces plats ont vite fait d'arriver. En entrée, pour moi, ce fut le carpaccio de tomates, crème aigre et queue de bœuf au consommé à la bière rouge-brune flamande*. Ce mets était présenté dans un sympathique bol de grès, et le consommé, brûlant comme il faut, fut versé à table par la serveuse, devant moi, par-dessus les autres ingrédients. J'ai trouvé l'ensemble savoureux, réconfortant et bien agencé avec une Rodenbach, bière versatile et souvent sous-estimée. Mes amis, pour leur part, ont dégusté en entrée les rillettes de saumon au coulis de chou-fleur et brocoli à la bière framboisée, jumelées à une Framboise Boon agréablement acidulée. Ils en furent enchantés.
A suivi, pour mes amis, le canard sauvage aux navets et carottes au miel et bière "Spéciale Belge" brune, le tout accompagné d'une Kappitel Pater. Pour moi, ce fut le filet de barbue “à la plancha” à la purée d’artichauts, accompagné de moules, palourdes et cresson dans leurs jus de “Belgium Ale”, avec lequel j'ai bu une Palm. Encore une fois, pas de grandes bières, mais les saveurs simples de celles qui nous étaient proposées se mariaient bien avec les saveurs complexes des plats. Ces derniers étaient parfaitement exécutés, dans les règles de l'art, chaque ingrédient étant préparé de façon à le mettre en valeur, mais aussi à rehausser le plat dans sa totalité.
Ma fille, qui nous accompagnait, n'a pas été en reste, s'étant fait servir le plus beau plat "enfant" qu'elle a eu de sa vie : un joli morceau de poisson blanc étendu sur un lit de purée onctueuse et garni d'une sauce aux champignons sauvages qui nous a tous fait saliver.
Il y a eu un moment d'hésitation de la part du personnel quand nous avons demandé une bière avec le dessert et le fromage. Cela ne semblait pas prévu au programme. Celles qui nous ont finalement été versées ne formaient pas un couple harmonieux avec la soyeuse panna cotta aux deux chocolats et le bel assortiment fromager des Maîtres Van Tricht. Je n'ai d'ailleurs pas retenu le nom de ces bières, ayant tendance à remiser aux oubliettes les expériences moins agréables. Les mignons petits fours accompagnant le café ont toutefois vite fait de nous remettre les papilles sur le chemin du bonheur.
Et c'est plein du bonheur de la bonne chère et de l'amitié partagée que nous sommes ressortis sur la petite place ensoleillée pour dire au revoir à M. Claus et absorber quelques rayons obliques avant de traverser les champs de houblon dépouillés de la région de Poperinge, vers d'autres aventures brassicoles.
Alex S.
Photos : Hugue L
Pour lire les autres articles des aventures d'Alex, cliquez ici