Alex voit la vie en Rose... à Bruges

Café Rose Red (Bruges)

Il y a des endroits comme ça où l'on se sent hors du temps, comme enveloppé d'agréable nostalgie. Le Café Rose Red est l'un de ces endroits.

D'abord, c'est à Bruges. La ville entière est un poème rappelant L'invitation au voyage de Baudelaire : "Là, tout n'est qu'ordre et beauté / Luxe, calme et volupté..." Et puis, dès qu'on entre au Café Rose Red, on est happé par la douce chaleur des... Non, il faut être honnête : ce qui frappe d'abord, quand on franchit la porte, ce sont les centaines de fausses roses rouges accrochées par la tige aux poutres du plafond. On se dit, un peu surpris, que ces fleurs ont dû donner leur nom au café. Mais on apprendra en lisant le menu que le propriétaire, Kris, s'est plutôt inspiré, pour baptiser son établissement, du titre d’une minisérie écrite par Stephen King. Celle-ci, comme je l'ai découvert sur Internet, raconte l'histoire d'un manoir hanté par des forces maléfiques aux tendances meurtrières. Voilà qui peut laisser songeur.

Heureusement pour nous, c'est un tout autre esprit qui habite le Rose Red. Une fois qu'on a apprivoisé l'impressionnant champ de roses inversé, on découvre en dessous une ambiance des plus apaisantes : meubles rustiques, plancher de bois brut grinçant par endroits, rideaux vaporeux, bougies qui se consument lentement sur les tables. Et l'ardoise accrochée au-dessus du bar, où sont présentées les cinq bières au fût, a de quoi réchauffer le corps et l’âme : les brasseries De Ranke, Dupont, Struise, Dochter van de Korenaar, De la Senne et d'autres du même calibre s’y relaient régulièrement.

S'il fait beau, vous pourrez profiter du ciel bleu de Bruges (plus bleu qu'ailleurs, je vous le jure) en prenant place dans la jolie cour intérieure du Rose Red. Mais s'il pleut, c'est encore mieux : vous vous assoirez à la fenêtre, sur la banquette écarlate, et vous regarderez entre les gouttes la petite rue tranquille où passent relativement peu de touristes, en écoutant d’une oreille distraite des airs de jazz distillés par un système sonore de haute qualité. Vous bénirez alors le destin de vous trouver là, bien au sec, au cœur d'une ville mythique, prêt à vous laisser enivrer par quelques bonnes bières.

Le service est assuré, entre autres, par la main experte de Kris, un homme au sourire facile qui semble avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle, ou par l'une de ses charmantes filles. Il est possible de commander un "beer tasting" (concept encore assez rare en Belgique), une palette de dégustation qui vous permettra d'essayer quatre bières au fût pour 10 euros. La carte des bières, contrairement à ce que le site Web du café pourrait laisser croire à première vue, est loin de se limiter aux bières trappistes. S'il est vrai qu'un grand nombre de trappistes sont disponibles au Rose Red, dont les relativement récentes Gregorius et Mont des Cats (que je ne vous recommande pas particulièrement), on y trouve aussi une belle liste de gueuzes (Cantillon, 3 Fonteinen, De Cam, Hanssens, Boon, etc.) et d'autres bières artisanales parmi les meilleures de Belgique.

Le café ouvre à 11 heures, le moment parfait pour déguster une petite bière post-déjeuner, quand les papilles sont, paraît-il, les plus fringantes. On ne sert pas à manger au Rose Red, sauf pour quelques amuse-gueule qui devraient tout de même vous faire tenir jusqu'au dîner---que je vous suggère de prendre à la Bierbrasserie Cambrinus, située tout près... mais ça, ce sera pour un autre article.

Sachez que l’ancienne maison dans laquelle se trouve le café abrite aussi un hôtel de 21 chambres, le Cordoeanier. L’ensemble peut donc faire office de camp de base lors d’un séjour à Bruges. Car il faut absolument passer plus d’une journée à Bruges pour bien en saisir l’atmosphère, au-delà des sites ultratouristiques, forts beaux mais habituellement trop achalandés pour qu’on puisse correctement s’y recueillir. Il faut, pour s'imprégner de l'esprit de la ville, aller se promener dans les rues un peu excentrées, là où les groupes de touristes d'un jour n'ont pas le temps de s'aventurer, préférablement le matin ou juste avant le crépuscule quand la lumière oblique donne aux façades de briques et aux vitraux d'église un relief particulier.

L’idéal est donc de loger à Bruges au moins une nuit---par exemple, à l’hôtel Cordoeanier---pour pouvoir profiter de ces moments privilégiés où la ville est toujours, l’espace de quelques heures, ce qu’elle fut à l’époque où Georges Rodenbach a écrit Bruges-la-morte : un écrin de pierre dentelée tapissé de canaux miroitants, où, si l’on est attentif, on peut encore percevoir, entre mélancolie et émerveillement, les reflets lointains d’un temps révolu.

texte : Alexandra Serre

photos : Hugue Lebel

Le site Web du Rose Red

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