C’est au détour d’une conversation – c’est souvent le cas – que j’apprends l’existence d’une nouvelle brasserie à Bruxelles : Tipsy Tribe. Ni une ni deux direction mon bureau, histoire de donner un petit coup de sonde sur les internets. Tipsy Tribe… « brasserie et distillerie » ? Tiens tiens, Bruxelles renouerait-elle avec une autre partie de son bel héritage bibérophile (là-dessus je ne peux inviter que très chaleureusement la découverte de cet ouvrage de Patrick Debouverie (2021), Hôtels, Estaminets, Cafés, Restaurants. Saint-Gilles du XVIIIe siècle aux années 1960, Cercle d’Histoire de Saint-Gilles, Bruxelles) ?
Si nous avons effectivement dans notre chère ville quelques producteurs de distillats, dont des distillateurs (et anciens distillateurs), à ma connaissance nous ne comptons plus – comptions plus – de brasseur-distillateur depuis belle lurette (Odyssée/Drogenbos étant techniquement juste en-dehors de Bruxelles ; mais ne pas les mentionner serait une faute relativement grave). Et bien voilà cet état de fait radicalement changé, puisqu’à ce jour les deux compères de Tipsy Tribe ont bel et bien commencé tout récemment à produire dans leurs installations. À la frontière entre Koekelberg et Jette – une commune tranquille qui décidément cache bien son jeu – une façade fort discrète, porte blanche sans enseigne. Sur la porte d’entrée aveugle seul un petit autocollant noir et blanc trahit leur présence.
Alors que Dan s’affaire autour des cuves – il termine son deuxième brassin depuis l’installation de leurs cuves toutes neuves – Aylin m’accueille chaleureusement dans leur petit jardin intérieur. Nous avons deux heures devant nous, largement le temps de présenter leur projet et d’en dévoiler la quintessence.
Once upon a time
Ils se rencontrent incidemment en Belgique en 2010. Il est Américain, elle est Turque, et ils décident rapidement de s’installer ici. Ils viennent de milieux professionnels complètement différents, et a priori rien ne les lie pour l’instant à la bière.
Alors qu’elle est en mission professionnelle un week-end de 2016, Dan participe à un atelier du genre « brassez votre propre bière ». C’est la révélation : à son retour Aylin trouve son compagnon transformé, et leur maison pleine de cuves et d’équipements. Il est convaincu d’avoir trouvé sa voie, et veux s’y consacrer pleinement. Une obsession qui deviendra occupation commune : brasser.
Ils s’essayeront régulièrement au brassage durant deux ans avant de se mettre à chercher un endroit pour y installer leurs quartiers avec une obsession commune : produire leur propre bière.
« Dan aime la bière depuis longtemps », me confie mon interlocutrice, « moi je suis plus sélective ». Une exigence qui mènera Aylin à introduire dans leur projet un volet de distillation. Gins, vodka, mais également d’autres spirits sont dans les cartons. Un petit clin d’œil à Michael Jackson (pas l’ami des enfants, l’autre), qui disait que la bière était à mi-chemin du paradis.
Leur entourage ne croyait pas trop au changement assez radical que nos deux compères donnaient à leurs vies… puis se sont ravisé, convaincus par la finesse de leurs produits.
« Avec la brasserie, le travail est plus qu’un travail. Nous avons lui comme moi un véritable rôle à jouer, notre travail a du sens, et en plus il nous procure joie et fierté. Nous n’en changerions pour rien au monde ! » m’assure Aylin, souriante. Son mari, pourtant tout affairé à ses cuves, revient alors pour appuyer cette opinion. Troquer bureau et réunion pour leurs fermenteurs a été véritablement décisif et épanouissant pour lui.
Tout comme brasserie et distillerie s’entremêlent dans leur espace de production et dans leurs recettes (tiens, une blanche avec des baies de genévrier ?), ils revendiquent plus que leurs seuls héritages culturels d’origine : la Belgique (et particulièrement Bruxelles) est présente partout dans leur démarche. Ils s’y sentent bien et ça se goûte dans leurs produits.
Dès le départ leur volonté est d’optimiser leurs ressources. Ainsi ont-ils notamment installé des panneaux photovoltaïques sur la surface de leur toiture. C’est faussement évident à plusieurs titres : ils ont choisi ensemble d’investir dans la diminution de l’impact environnemental de leur travail, et s’orientent dès lors d’une autre croissance. On en reviendrait presque à remettre en évidence cette petite antienne esthétique qui me tient à cœur : ce que la forme dit du fond. Ce n’est d’ailleurs pas la seule initiative dans ce sens : Tipsy Tribe fait également partie de l’initiative Good Food Brussels, au même titre que La Source et Mad Lab, que vous connaissez déjà certainement.
Parmi leurs objectifs d’ici à 5 ans : ils comptent développer leur gamme de distillats, et se laisser à expérimenter de nombreuses recettes, en one-shots comme des références plus régulières.
Le mot du début
Mais pourquoi « Tipsy Tribe » ? « Cela fait référence à deux choses qui nous plaisent : la communauté, le sentiment d’appartenance et de choix d’un côté ; de l’autre cette sensation agréable de laisser-aller joyeux lorsqu’on n’est plus tout-à-fait sobre, sans être saoul. Un chouette mélange ».
Aucun doute : à suivre de très près. Et apparemment ont-ils lancé des visites de leurs installations.