Portait d'Aylin Fastenau, cofondatrice de Tipsy Tribe

Aylin Fastenau : co-fondatrice de la brewstillery Tipsy Tribe

Nous sommes partis à la rencontre d'Aylin et Daniel Fastenau, le sympathique couple derrière le projet Tipsy Tribe : une "brewstillery" située à Koekelberg, concoctant des bières à la fois d'inspiration belge et de styles plus modernes, mais aussi des spiritueux. A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, il semblait pertinent de dresser le portrait d'Aylin, chargée du marketing et de la communication de la brasserie, mais aussi des livraisons. Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours et son rôle au sein de ce jeune et ambitieux projet.

Quel est votre parcours? Quelle est l'histoire de Tipsy Tribe? Comment êtes-vous tombée dans le milieu de la bière et de la distillation ?

Aylin Fastenau : "Nous travaillions tous les deux pour des multinationales à la base, puis nous avons commencé à brasser en 2016, où ce n'était alors qu'un hobby. Nous avons fait plein d'erreurs, mais on a aussi eu quelques succès ! On a sauté le pas par passion, avec le désir de faire quelque chose qui nous plaisait vraiment. Le plus compliqué au moment de sauter le pas, c'était de trouver l'espace adéquat. Ce n'était pas possible de se professionnaliser en continuant à brasser dans notre appartement ! Nous avons fini par trouver cet espace, à l'histoire riche et originale puisqu'il s'agit d'une ancienne église évangélique convertie en plantation de marijuana. On a entendu qu'il y a même eu de la prostitution à une époque... Et désormais, c'est nous !"

"Les spiritueux sont arrivés quelques années après la bière, avec une machinerie modeste mais efficace, que l'on a mise à niveau récemment. On a fait des expérimentations, en tentant de développer des goûts qui nous plaisent aussi. Nous ne venons pas du milieu horeca ni brassicole, donc ça nous a pris du temps de développer et d'affiner nos produits pour atteindre une vraie qualité. Mais c'est ici que nous avons tout appris."

Ce n'est pas inédit, mais ce n'est pas si courant de proposer à la fois de la bière et des spiritueux. Qu'est-ce qui vous a motivé à proposer ces boissons et pas seulement de la bière?

Aylin Fastenau : "Il y a beaucoup de synergie entre les deux produits. Le processus de distillation commence de manière similaire au brassage. Mais plutôt que de transposer le liquide en cuve de fermentation, on distille ! C'est aussi intéressant pour limiter nos déchets, et ceux des autres : nous avons plusieurs brasseries qui nous renvoient des brassins ratés ou ne correspondant pas aux attentes, voire dont la date de péremption est proche.  Plutôt que de jeter, on préfère recycler cette bière sous forme de spiritueux. Et on le fait aussi pour nos propres bières si la recette n'est pas encore au point. Il y a aussi une logique de diversification, puisqu'il y a déjà beaucoup de brasseries à Bruxelles. C'est aussi une façon de nous mettre en avant, de nous différencier. Aucune autre brasserie bruxelloise ne propose à la fois de la bière et des spiritueux sous un même toit. Ainsi, nous sommes les premiers à proposer du whisky bruxellois. Il y a d'autres distilleries, et même "brewstilleries" pas très loin et de qualité, mais le premier whisky de Bruxelles... c'est nous ! Et le deuxième, et le troisième... [rires]"

Vis-à-vis des bières, avez-vous un mot d'ordre concernant les recettes que vous développez? On peut trouver une kölsch, une quadruple, une lager... des styles traditionnels. Mais aussi des exemples plus modernes comme l'IPA japonaise "Kicho" ou l'IPA néo-zélandaise "Chur Bro". Que recherchez-vous en brassant vos bières? Qu'est-ce qui vous inspire?

Aylin Fastenau : "Nous sommes une équipe très internationale ! Je suis turco-belge, Daniel est américano-belge, immigrés de première génération. Nous avons vécu dans plusieurs pays, et ça influence nos recettes. Mais nous sommes également belges, et ça nourrit nos bières aussi ! On aime faire des recettes classiques autant que des créations originales, notamment une bière blanche aux baies de genévrier distillées, et une petite acide inspirée du limoncello. On joue avec le fait d'être aussi une distillerie, puis on mélange les inspirations afin de proposer autant des bières plus basiques que des bières éphémères plus originales et saisonnières."

Le milieu de la bière reste encore tristement masculin, avec les préjugés et discriminations que cela implique. Avez-vous rencontré du sexisme au sein de votre profession?

Aylin Fastenau : "Le milieu est très masculin, et il est aussi très blanc ! Pourtant, Bruxelles est une ville très internationale, avec beaucoup d'immigrés et des personnes parlant plein de langues, mais cela ne se reflète pas tellement dans le secteur brassicole. Mon avantage, c'est que je suis co-fondatrice de Tipsy Tribe, et je travaille à tous les niveaux, y compris à la production, à la mise en bouteille etc. Je n'ai pas un chef qui pourrait potentiellement me discriminer. Mais ça m'est arrivé avec des clients ou des partenaires commerciaux ! Je discutais de mes spiritueux à un commercial et il ne me croyait pas lorsque je disais que nous faisons tout nous-mêmes, il voulait savoir où j'achète mes alcools. C'est plus souvent moi qui réalise le travail de communication, donc c'est moi qui m'adresse aux journalistes ou aux clients, et ils demandent régulièrement à parler avec Daniel. Je réponds parfaitement à leurs questions, mais ils ressentent le besoin de les reposer à Daniel. Mais je pense que le problème est aussi culturel et générationnel. Je subis moins de sexisme de la part de personnes plus jeunes."

"Il faut aussi se rendre compte que nous ne sommes pas une grande brasserie, je ne peux pas envoyer balader les clients comme je le souhaite. Je dois parfois prendre sur moi si ça implique de conclure la vente. Et si les commerciaux veulent voir Daniel, je dois souvent m'y plier. Dans un monde idéal, ça n'arriverait pas. Mais on doit aussi penser à l'avenir de la brasserie et son développement."

Le monde brassicole est en pleine crise, avec de nombreuses fermetures ces dernières années liées à diverses crises successives. Comment vous surmontez ces obstacles en tant que structure jeune et encore modeste?

Aylin Fastenau : "On essaye d'être plus efficaces. On tente d'optimiser notre production sans perdre en qualité. Par exemple, plutôt que d'acheter des étiquettes pré-imprimées, nous avons acheté une imprimante pour pouvoir modifier les dates de péremption nous-mêmes. Cela permet de commander davantage d'étiquettes et de réduire les coûts, plutôt que de limiter nos stocks à un brassin spécifique. On a la chance d'avoir des panneaux solaires aussi. Mais réduire la qualité de nos ingrédients est exclu ! L'autre objectif majeur, c'est de nous faire connaître. On doit faire de notre mieux pour vendre plus et nous démarquer. C'est le deuxième obstacle principal avec l'augmentation générale des coûts. On aimerait aussi que le public belge soit plus conscient et attentif aux bières artisanales et locales. J'ai l'impression que le consommateur n'est pas encore sensibilisé aux différences entre les bières produites par les grosses brasseries industrielles et les petites brasseries craft"

 

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