tête chargée

Tournée des brasseries: rencontre avec la micro-brasserie Tête-Chargée

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Ce mois-ci, la micro-brasserie Tête Chargée fête ses deux ans. L’occasion de retracer l’histoire de ce projet avec Fleur, vétérinaire devenue brasseuse. Depuis les hauteurs, on a une vue imprenable sur la prairie qui s’étire en contrebas, au creux de la vallée. Mais l’admiration, parfois ponctuée d’un braiment ou d’un meuglement provenant d’une ferme toute proche, se mérite. En effet, l’ascension d’une route escarpée suivie d’un chemin l’étant tout autant est le tribut à payer pour se délecter de la bière qui y est produite. C’est dans ce cadre idyllique que je peux poser quelques questions à Fleur, une fois mon souffle repris, et découvrir sa micro-brasserie installée chez elle.

Si je me souviens bien, tu m’avais dit lors de l’ouverture de ta brasserie que « tête chargée » était une expression haïtienne?

Oui c’est ça. Avoir la tête chargée peut être compris de deux façons, soit avoir un peu trop bu, soit avoir trop de choses qui nous préoccupent. Ça allait bien avec la bière, l’idée de boire un coup pour se détendre et se vider la tête…de là les bulles sur mon logo. Mais de l’autre côté, si tu fais la fête, que tu bois trop, tu as la tête chargée le lendemain. Donc tout le monde est concerné par cette expression. C’est également le titre d’une chanson de Bernard Lavilliers, un chanteur que j’aime beaucoup, écrite après le tremblement de terre d’Haïti en 2010. Le texte parle de la résilience et de l’art qui nous fait « homme ».

Le nom de ta bière est la Wark. C’est un nom assez particulier…

La Wark est une petite rivière au Luxembourg. Tout le monde se base sur des histoires familiales, ce que je ne voulais pas trop faire, mais dans ma famille j’ai quatre générations de brasseurs. À l’époque, un oncle de mon père, qui était brasseur à Anvers, partait en vacances aux bords de la Wark, ce qui était déjà toute une aventure pour l’époque. Et depuis c’est resté. Au départ, je pensais garder uniquement Tête Chargée mais j’avais quand même envie de différencier l’une ou l’autre bière et de ne pas simplement les appeler « blonde », « brune » ou autre.

Avant d’être brasseuse, tu étais vétérinaire. Comment en es-tu arrivée à entrer dans le monde de la bière?

Après mes études, je me suis installée comme indépendante. Ensuite, pour des raisons familiales, je suis partie vivre à Madagascar pendant quatre ans. Là-bas je n’ai pas pu travailler comme vétérinaire car mon diplôme n’était pas reconnu. Mon mari est brasseur, alors pour passer le temps en tant que femme d’expat’, j’allais souvent à la brasserie avec lui, on parlait beaucoup de bières et de l’univers brassicole. Une fois rentrée en Belgique, j’ai commencé à écrire puis j’ai repris mon activité de vétérinaire pour les chevaux et les ânes. Mais c’est un métier assez lourd, beaucoup d’urgences, c’est aussi un métier solitaire et difficile physiquement. Et comme j’avais envie de faire moi-même de la bière depuis longtemps, j’ai décidé de me lancer. Ce que j’aime dans ce métier, c’est aussi de travailler seule mais tout en rencontrant tout le temps des gens intéressants. La bière m’amène à découvrir plein de projets sympas dans ma région.

Tu travailles parfois avec ton mari?

D’un point de vue pratique, il faut être deux parce que quand on brasse de façon artisanale, tout est manuel. On brasse à nous deux et c’est chaque fois un agréable moment qu’on partage, et on partage aussi la fatigue. Ensuite, tout le reste, je le fais seule ou avec un petit coup de main de mes parents ou de mes enfants.

Est-ce que travailler dans une micro-brasserie installée chez toi a un impact sur ton travail, tant au niveau des libertés que des contraintes?

Au niveau des libertés, je suis mon propre patron, j’organise mon temps comme je le veux et je suis libre de mes choix. La principale contrainte est le timing imposé par le rythme de la fabrication. Pour faire ma bière, les différentes étapes prennent au total sept semaines. Donc il y a des moments où je suis tenue de faire telle ou telle partie du processus. Les gens viennent chercher les bières à la maison, parfois le soir ou le dimanche, mais je m’organise, et ça va. Et ils sont toujours très sympas, très respectueux. Quand ils passent et que je suis en rupture, ils restent compréhensifs. Ils savent que s’ils ont une commande, pour un événement par exemple, ils doivent me prévenir en avance. De plus, ils se sentent d’une certaine façon inclus au projet vu que c’est une brasserie de petite taille, qu’ils viennent sur place, voient le lieu, me voient travailler. On a l’occasion de discuter et échanger. Ils ont aussi de bonnes idées et suggestions.

Tu as choisi de n’utiliser que des ingrédients bio. Quelle est ta vision derrière tout cela ?

Comment faire autrement quand on lance un nouveau produit ? Je trouve que nous n’avons pas d’autre choix que de pousser cette agriculture. La Wallonie d’ailleurs progresse très bien ! Je voulais avoir un faible impact environnemental et le bio en fait partie. Cela a aussi guidé mes choix quant à l’emballage. J’utilise ainsi du papier recyclé pour l’étiquette et une corde de coton recyclable plutôt qu’une colle. Un autre élément est ma bouteille. Comme ma micro-brasserie n’a pas de laveuse, je ne récupère pas les vidanges. J’ai donc décidé d’adopter une forme particulière de bouteille, très jolie et peu encombrante. Elle est appelée bouteille du pêcheur parce qu’elle ne roule pas quand elle tombe dans un bateau. Beaucoup de personnes la réutilisent ensuite, par exemple pour mettre leur huile d’olive ou leur vinaigrette. C’est ma façon de donner une seconde vie aux bouteilles en verre, par ailleurs recyclables à 100% et à l’infini. Je vais glisser des petits bouchons en liège dans mes caisses très bientôt et plusieurs de mes points de vente veulent mettre en place « une suite » pour récupérer et réutiliser les bouteilles.

Pour le moment tu brasses la Wark dans deux versions, avec et sans gluten. Des projets pour de nouvelles bières ?

En fait, j’ai l’idée de faire une famille. Il y aura d’abord la Wark’s Mum dont j’expérimente la recette actuellement. Ce sera peut-être un brassin spécial. Elle sera dans le même esprit que la Wark par rapport à l’amertume mais plus forte et avec plus de corps, une bière de dégustation. Il y aura plus tard la Wark’s Son qui serait beaucoup plus légère en alcool. Et si un jour j’arrive à avoir un fût ayant contenu du rhum d’Haïti, il y aura une Woody Wark.

Quand tu élabores une recette, essaies-tu de t’inscrire dans une tradition, de suivre les grandes tendances, par exemple une blonde triple à la belge ou une IPA, ou essaies-tu plutôt d’innover et de créer un goût particulier et original?

Mon but est de faire une bière drinkable, facile à boire, sans trop d’amertume mais avec des saveurs particulières. Dans l’ensemble, beaucoup de bières spéciales sont plaisantes à boire une fois mais tu n’as pas spécialement envie de les boire à nouveau la semaine d’après. Par exemple, la mode est actuellement au dry hopping et beaucoup de bières sont créées avec une énorme amertume, ce qui ne plaît pas à tout le monde… Chacun a un côté explorateur mais aime aussi boire des bières plus faciles, plus accessibles. De plus, beaucoup de femmes l’apprécient, il y a même des gens qui me disent que ça se sent que c’est une femme qui brasse, alors que ce n’est pas tout à fait vrai étant donné qu’on fait ça mon mari et moi (rires). Mais c’est assez chouette de savoir que beaucoup la boivent avec leur partenaire. C’est aussi pour ça que mes verres sont de 17,5 cl pour pouvoir partager la bière à deux. D’ailleurs c’est une tendance qui se développe. De plus en plus de personnes prennent de la bière au restaurant plutôt que du vin et partager à deux permet de goûter plusieurs bières différentes.

N’est-il pas devenu fort difficile de trouver sa place en tant que micro-brasserie dans le paysage belge étant donné l’explosion du nombre de brasseries ces dernières années?

Oui, mais je pense que les gens sont ouverts à des produits dans l’esprit du mien, que beaucoup d’autres partagent d’ailleurs. Même si les gens consomment des produits basiques de la grande distribution issus des grands producteurs, ils cherchent quand même aussi des choses différentes. Mais c’est difficile à dire, j’ai l’impression de faire ma place comme ça, sans m’être réellement posé la question.

Quelle est ta bière préférée, en dehors de la tienne bien sûr?

J’aime bien l’Omer, notamment parce qu’il y a une longue histoire familiale derrière, son identité reste intacte. Actuellement, beaucoup de brasseries se renouvellent très fortement et veulent un peu trop suivre la tendance. Ce qui se fait parfois au détriment de leur histoire et de leur identité… Sinon j’aime beaucoup la Triple Karmeliet et de temps en temps une gueuze.

Est-ce que tu as une suggestion d’accord pour ta bière?

Mon conseil est de l’accompagner d’un morceau de Provolone, un fromage italien un peu piquant, et de deux ou trois noix de cajou salées. C’est un mélange que j’apprécie énormément.

Cet article est le premier d’une série sur les micro-brasseries belges, fruit d’un partenariat réalisé avec Culture Remains.

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