Nous avons échangé avec Maxime Beuvier de la brasserie Septante-Deux, basée dans la ville du Mans, qui lance la gamme HAPAX. Après des études à Bruxelles, et quelques expériences professionnelles passées au travers de différentes brasseries belges et anglaises, c'est la culture traditionnelle du lambic que le Manceau a voulu ramener dans sa ville... avec une touche résolument locale.
Comment êtes-vous arrivé dans le milieu de la bière artisanale?
Maxime Beuvier : "J'ai commencé à apprécier la bière au travers des bières belges ramenées par un parent d'un ami lorsque j'avais dix-huit ans. J'ai découvert de vraies bières de cette façon, en particulier l'Orval. Au même âge, j'ai commencé à bricoler du matériel de brassage amateur avec des casseroles directement à la maison. J'étais content de goûter des styles qui étaient introuvables chez nous, comme les IPAs. En parallèle de mes études de communication et de journalisme, j'ai été bosser à deux reprises dans des brewpubs en Angleterre, où je me suis découvert une fascination pour les styles anglais, comme les classiques Bitter. Vraiment des styles légers et équilibrés, pas trop carbonnatés et servis un peu tièdes... J'ai poursuivi mon parcours dans des brewpubs à Paris, avant de bosser dans une ferme-brasserie non loin de chez moi. J'ai achevé mon Master à Bruxelles, et en sortant des études une amie vigneronne était de passage en ville et elle était choquée d'apprendre que je n'avais jamais été visiter Cantillon ! C'est elle qui m'a amené là-bas, et ça m'a scotché. Je leur ai demandé un petit contrat étudiant le temps d'un été, et j'y suis resté finalement un peu plus de deux ans. C'est à ce moment là que je me suis décidé de me consacrer à la bière. J'ai encore mené quelques années de voyages, ponctuées de visites de brasseries, et me voilà aujourd'hui avec ma propre brasserie, fondée en 2017 avec mon frère, dans ma ville natale du Mans ! Nous brassons et servons notre bière majoritairement sur place."
Pourriez-vous nous parler davantage de votre dernier projet?
"Je suis tombé amoureux du lambic et des bières de fermentation spontanées lors de mon passage à Bruxelles. Je me demandais s'il était possible de reproduire la méthode de fabrication du lambic directement chez moi. J'ai vu des italiens et des américains s'y essayer et obtenir de chouettes résultats au fil des années. On a la chance d'avoir un brewpub qui tourne, ce qui rendait possible de mobiliser des barriques pendant trois ans et demi avant d'avoir des résultats. Ce projet "HAPAX" représente ma tentative de produire des bières similaires aux lambics chez moi ! Donc évidemment, ce n'est pas du vrai lambic. Les assemblages ne sont pas des gueuzes. Mais je me suis amuser à détourner mon matériel, par exemple en utilisant ma cuve de filtration comme une cuve de brassage, pour avoir un moût trouble très riche en dextrines et en amidon, au plus proche de ce que fait une brasserie de lambic aujourd'hui. Je fais une ébullition très longue de quatre heures et demies où je rajoute des houblons surannés. Et dans mon grenier, j'ai fait réaliser un coolship en cuivre, en plusieurs morceaux que j'ai ensuite assemblé. On a fait cinq à six brassins de dix ou douze hectolitres depuis 2020, et nous avons utilisé des barriques de vins de Loire et de Bourgogne, du rouge non-tannique principalement comme du Pinot Noir, du Chenin ou du blanc de Loire. J'étais euphorique en découvrant que les effets de la fermentation se produisaient comme attendu ! Les odeurs m'étaient familières, cela me rappelait ce que j'avais connu ici à Bruxelles."
Le projet HAPAX est pour l'instant constitué d'une première cuvée de trois bières, très inspirées des recettes traditionnelles belges. Mais d'autres recettes pourraient voir le jour au gré des envies de Maxime Beuvier, qui défend ce projet comme un vrai rêve très personnel.
"A la suite des bons résultats de la première année, j'ai continué pendant encore deux ans. Et là j'ai pu concocter mes premiers assemblages il y a huit mois. L'un d'eux est inspiré des gueuzes, avec un assemblage de bières vieilles d'un, deux et trois ans. Un autre a été macéré avec de la purée griottes et un ajout de noyaux , mais je n'ai pas le matériel pour utiliser des fruits entiers. Et le troisième est similaire au premier : un assemblage, mais avec du marc frais de Pineau d'Aunis, LE cépage nord-ligérien, le seul rouge disponible chez nous. Il provient du Domaine de Bellivière, qui fait du super vin. Je suis très content du résultat, il comporte vraiment des notes poivrées et terreuses, propres au cépage."
"Ces trois premières bières HAPAX se nomment MT3, Cerise et Aunis. Le nom MT3 fait référence à la méthode traditionnelle, et j'y ai ajouté les logos "Méthode Trad'" et "Méthode Trad' 3" directement sur la bouteille, pour indiquer que nous avons respecté le cahier des charges. J'ai simplement reproduit ce qui était pratiqué par les brasseries américaines par exemple. C'est différent, ce n'est évidemment pas du lambic ni de la gueuze, mais c'est intéressant. L'acidité n'est pas très prononcée, elle se développe seulement dans la bouteille, ce qui donne des bières étonnamment douces. C'est mon petit projet sur le côté, et je vais certainement continuer et refaire ces trois bières. Un deuxième assemblage est prévu pour la deuxième année, et j'essayerai d'autres idées, comme des bières de coupage ou avec d'autres fruits."
Quand est-ce que votre première cuvée sera disponible?
"Et bien ça y est ! Elles sont disponibles depuis très récemment. Je souhaitais attendre qu'elle ait passé au moins six mois en bouteille, même si l'idéal aurait peut-être été d'attendre un an. Je ne souhaitais pas me précipiter pour les sortir après avoir attendu trois ans... Donc j'ai attendu, en emportant quelques bouteilles avec moi lors de salons et festivals. Et autant nos bières plus classiques sont disponibles directement chez nous, mais avec un projet comme HAPAX, j'ai envie de retrouver mes bouteilles chez des cavistes un peu partout. Même si j'ai réussi à faire goûter ces bières au Mans, à des gens qui ne connaissaient absolument peu ou pas du tout la bière spontanée, sauvage ou mixte. Mais elles restent accessibles aussi, elles ne sont pas ultra-acides. C'est ce que j'aime dans la fermentation spontanée : ce côté plus élégant par rapport à des bières utilisant des ferments comme les bretts... ce que nous avons fait aussi par le passé. Ce qui est marrant, c'est qu'on associe toujours la brett aux bières de fermentation spontanées, alors que c'est la dernière à intervenir dans le processus. Ce sont d'abord des levures sauvages comme les Pediococcus ou les lactobacilles qui effectuent le travail en amont. Et c'est ça qui permet d'avoir des saveurs plus intéressantes, citronnées par exemple, et pas chevalines ou des arômes de cuir. Y'a une typicité différente aux bières spontanées, même si elle diffère légèrement entre les brasseries."
Est-ce que le public belge pourra retrouver vos bouteilles?
"Nous avons mis en place une boutique en ligne, et nous livrons également en Belgique. On va faire découvrir HAPAX lors d'un événement au Moeder Lambic avec L'Apaisée et Le Soupir, deux autres brasseries très chouettes. Je vais sans doute en profiter pour déposer quelques bouteilles chez des cavistes et chez des copains bruxellois, et pourquoi pas la distribuer par la suite?"