Nino Bacelle

Nino Bacelle : le maître du houblon chez De Ranke

Tous les amateurs de bières artisanales connaissent De Ranke mais il faut rencontrer un de ses fondateurs, Nino Bacelle, pour se rendre réellement compte de l'importance pour la culture brassicole belge de cette brasserie située à Dottignies. La position géographique de la brasserie De Ranke permet d'ailleurs déjà de deviner plusieurs points communs avec Nino Bacelle... Comme son ouverture et sa vision moderne dans une commune wallonne, à cheval entre la France et la Flandre. Ou encore son amour des variétés de houblons belges cultivés dans les champs proches de Poperinge.

Quelles sont les origines de votre passion pour le brassage et la bière artisanale ?

Nino Bacelle : "L'origine de la brasserie remonte aux années 30 quand mon grand-père se lança comme biersteker, donc il achetait des tonneaux de bière pour remplir des bouteilles et en faire le commerce. Il développa ensuite sa gamme en proposant des eaux gazeuses et des limonades. Cette entreprise est ensuite passée à ma mère puis à notre génération en 1986. A cette époque, la concurrence très forte des supermarchés rendait le marché difficile et nous avons arrêté la production de limonades en 1989. J'ai travaillé dans l'agro-industriel et mon frère a repris la distribution de bières. Mais je n'avais pas encore perdu la passion familiale de la bière et je m'y intéressais déjà sérieusement dans les années 70. Je voyais énormément de brasseries belges disparaître et certaines nouvelles ouvrir leurs portes au même moment, créant une sorte de renouveau dans les années 80 et me donnant l'envie de participer. La brasserie De Ranke est ensuite née officiellement en 1994. Mais ce n'était pas réellement ma propre production car je louais des jours de brassage à la brasserie Deca à Woesten. J'ai fonctionné avec ce système pendant deux ans avant de rencontrer mon compagnon Guido Devos. Comme il adorait aussi la bière artisanale et le lambic, nous avons décidé d'unir nos forces et de travailler ensemble en ouvrant la brasserie De Ranke, d'abord à Wevelgem, en 1996."

D'où vient le nom de la brasserie ?

Nino Bacelle : "Nous avons choisi un nom simple mais très révélateur de notre identité puisque De Ranke fait directement allusion aux plants de houblons. Nous souhaitions indiquer clairement que le houblon est l'ingrédient le plus important de nos bières. Déjà lorsque nous brassions chez Deca, nous étions situés à moins de dix kilomètres de Poperinge, la région belge connue pour ses cultures de houblons. Pourtant, à l'époque, beaucoup d'agriculteurs choisissaient de délaisser les anciennes variétés locales belges au profit de houblons à haut-rendement pour les brasseries industrielles. Les anciennes variétés locales, moins rentables et plus difficiles à cultiver, n'en restaient pas moins intéressantes au niveau de leurs profils aromatiques. On a donc choisi de travailler avec ces houblons plutôt que d'autres. On a dû convaincre les cultivateurs de houblons de ne pas abandonner leurs anciennes variétés et de patienter que les nouvelles brasseries artisanales passent assez de commandes pour rendre ce choix rentable. On a bataillé pendant plusieurs années avant de conclure un accord qui perdure avec la ferme de Luc Lagache à Warneton. Il cultive avec son équipe plusieurs variétés de houblons dont nos deux favoris : le Brewers Gold et le Hallertau Mittelfrüh. Ce qui nous a donné l'opportunité de travailler avec des fleurs de houblons provenant directement de la ferme et de nous différencier de la concurrence."

Quelle est la spécificité de travailler avec des fleurs de houblons ?

Nino Bacelle : "Le houblon contient beaucoup d'huiles essentielles fragiles qui s'abiment lors des manipulations et des transformations de la matière première. Pour conserver plus facilement le houblon, l'industrie a commencé à le concasser pour le transformer en pellets ou en extraits. Mais avec ce processus, on perd en finesse et en amertume noble... Lors de nos brassins tests, on a constaté un résultat nettement plus qualitatif pour nos bières très amères lorsqu'on utilisait des houblons sous forme de fleurs. On a par exemple lancé la XX Bitter en 1997 puis la Père Noël et d'autres bières plus tard... Comme nous travaillons avec des fleurs de houblon, nous devons prévoir notre commande pour le mois d'août puis l'achat lors des récoltes en septembre puis stocker pendant un an dans un frigo à zéro degré. Nous commandons dix variétés de houblons pour nos seize bières dont huit sont orientées sur l'amertume. Ce système présente bien entendu des risques car nous ne savons jamais combien de bières nous allons brasser pendant une année entière et nous ne pouvons pas racheter des fleurs de houblon stockés comme dans le temps à la ferme au mois de novembre, par exemple, car il y aura une dégradation de quelques semaines sur la qualité du produit. En plus de ces conditions, le travail des fleurs provoquent plus de pertes lors du brassage mais ces sacrifices nous permettent d'obtenir une qualité exceptionnelle dans nos bières."

Quelle a été l'évolution de la production chez De Ranke ?

Nino Bacelle : "Quand nous avons commencé à brasser chez Deca en 1994, nous produisions 90 hectolitres par an. Avec notre propre installation à Dottignies en 2005, on sortait 500 hectolitres par an pour ensuite augmenter très rapidement le volume à 2000 hectolitres environ. Puis quand j'ai quitté mon autre emploi, nous sommes arrivés à 8000 hectolitres, chiffre qui n'évolue plus vraiment depuis deux ans à cause de la pandémie et malgré notre installation qui pourrait sortir 10 000 hectolitres par an. Depuis 2000, nous avons développé des bières acides en fermentation spontanée en prenant bien soin de séparer nos productions car nous ne pasteurisons pas nos bières classiques. Bien entendu, le travail de ces bières acides est très différent et nécessite plus d'attention et de temps mais après, nous pouvons nous amuser avec des assemblages, des coupages et du vieillissement en barriques."

Laisser une réponse