Tilquin

Pierre Tilquin : l'unique assembleur de Wallonie

Véritable visionnaire dans le domaine, Pierre Tilquin a lancé un projet fou il y a déjà dix ans: ouvrir une gueuzerie en Wallonie. A l'époque, le brassage des lambics et les assemblages comme les gueuzes ou les krieks n'affolaient pas les foules de beer-geeks comme aujourd'hui... Et hormis la mythique brasserie bruxelloise Cantillon, le domaine semblait réservé aux artisans flamands (alors autour de Bruxelles, dans le Pajottenland). Tilquin, passionné de la première heure, se lance alors comme coupeur de gueuze (attention, il n'est donc pas brasseur). Une décennie plus tard, il répond à nos questions sur l'évolution de Tilquin et sur les origines de son projet.

Revenons dix années en arrière: qu'est-ce qui t'a poussé à ouvrir une gueuzerie?

Pierre Tilquin : "Je me suis lancé dans la bière après une thèse de doctorat en Statistiques appliquées à la génétique animale. J’étais dégoûté de la recherche théorique, et je voulais revenir à quelque chose de plus pratique. J’avais fait des études d’ingénieur agronome en élevage avant mon doctorat. Habitant Bruxelles, j’ai visité les producteurs de gueuze comme Cantillon et Drie Fonteinen, et j’ai été attiré par la beauté du métier et son aspect concret et pratique. En quelques sortes, c’était comme travailler dans une ferme mais en étant en ville. Ce n’était pas de l’élevage d’animaux mais de l’élevage de lambics. Je me suis passionné pour ce type de bière. J’ai été particulièrement attiré par la gueuze et le lambic, parce qu’il reste une part de mystère dans leur fermentation. Il y a en a pour toute une vie à essayer de comprendre et à améliorer jour après jour le produit final.

Après une courte formation de 15 jours en brasserie et malterie à Louvain, j’ai d’abord trouvé un job de brasseur chez Huyghe, à Gand. J’y suis resté un an et deux mois. Puis j’ai trouvé un accord avec Armand Debelder de chez 3 Fonteinen pour travailler avec lui. Je ne suis resté que six mois. Puis, j’ai travaillé six mois chez Cantillon. Là non-plus, je n’ai pas pu rester, mais je suis parti de chez Cantillon avec la promesse de Jean de me fournir un brassin si je commençais ma propre geuzestekerij. Arrivé à la conclusion que je ne  pouvais rester dans le type d’entreprise où je voulais travailler, j’ai décidé de créer la mienne."

Peux-tu expliquer en quelques mots pour les néophytes en quoi consiste ton métier?

Pierre Tilquin : "Je suis coupeur de gueuze, assembleur. Je ne suis pas brasseur. Je commande différents brassins de lambic, que je reçois sous la forme de moût, un jus sucré de céréales non fermenté. Les moûts arrivent le lendemain du brassage, après avoir passé une nuit dans le bac refroidissoir. Ils arrivent en cuves de transport et sont directement mis en fûts de chêne pour fermentation. La fermentation débute dans le meilleur des cas, après un jour et parfois après quelques semaines. Le résultat final obtenu après fermentation est ce qu’on appelle du lambic. Les lambics restent 1, 2 ou 3 ans en fûts de chêne pour fermentation et maturation. Ces lambics d’ 1, 2 et 3 ans sont assemblés en hiver pour donner de la gueuze à l’ancienne, après refermentation spontanée en bouteille pendant six mois."

Dix ans plus tard, quel est ton bilan sur l'évolution de Tilquin?

Pierre Tilquin : "Je suis très content de l’évolution. La première saison 2010-2011 j’avais produit 476 hl. Cette année, en saison 2020-2021 on devrait arriver à une production de 1900 hl. La croissance a donc été progressive mais soutenue. Je suis maintenant au maximum de la capacité de mon bâtiment, donc je ne crois pas que je vais encore beaucoup augmenter. Peut-être dans quelques années pourrai-je faire un projet d’agrandissement du bâtiment, mais ce serait surtout pour augmenter le confort de travail, et agrandir le tap-room."

Quel est ton public et qui aimerais-tu peut-être voir davantage boire tes bières?

Pierre Tilquin : "Je suppose que mon public est composé de connaisseurs, de geeks, mais il y a aussi des personnes qui s’y connaissent moins. J’aimerais clairement que mon public soit plus élargi que le monde des beergeeks, parce que c’est un public qui ne veut que des nouveautés, des exclusivités, et c’est fatiguant. J’aimerais que le gens se rendent compte que le meilleur produit est la gueuze, et puisse simplement profiter d’une gueuze en rencontrant la personne qu’ils ont en face d’eux, plutôt que de regarder leur téléphone et encoder leur note sur Untappd."

Pourquoi ne voit-on pas plus d'assembleurs dans les deux Brabants?

Pierre Tilquin : "Cela évolue. Il y a des nouveaux acteurs sur le marché. Je crois toutefois qu’on en voit peu parce que se lancer comme assembleur demande un capital important qui est immobilisé pendant longtemps, le temps que les lambics atteignent 1, 2 et 3 ans. De plus, les producteurs de lambic, brasseurs, acceptent de moins en moins de fournir des assembleurs parce qu’ils ont leur production à réaliser, et n’ont pas toujours le temps de brasser pour d’autres. De plus, comme les candidats assembleurs veulent commencer tout petit, pour les brasseurs cela fait beaucoup de boulot pour pas grand-chose. Il faut pouvoir prendre un brassin complet, sinon, c’est ennuyant pour les brasseurs. J’ai eu la chance de commencer au bon moment, à un moment où il y avait peu d’assembleurs, et j’ai commencé à une échelle assez grande directement."

Que nous réserves-tu pour le futur?

Pierre Tilquin : "On a fait construire une petite installation de brassage de 800 litres, donc on va brasser la saison prochaine, juste pour faire des tests et s’amuser. Le but n’est pas de remplacer la production de la gueuzerie, mais de produire sur le côté un lambic Tilquin qui permettrait à terme de faire une gueuze 100% lambic Tilquin. Et puis, on est occupé à terminer la mise en bouteille d’une série de bières au Meerts, produites par seconde infusion sur marcs de raisins et de fruits. Le but est de produire 9 bières légères légèrement fruitées, et de les proposer dans un pack de 9 bouteilles de 37,5cl. (NDLR: la série a été révélé officiellement depuis) On a développé cela l’hiver passé pour trouver une alternative à notre série de bières au fût (Gueuze, Quetsche et Mûre – Draft Versions), parce qu’à cause du COVID nous avions encore toute la production de l’année d’avant. Si ça marche bien, je crois qu’on va développer ces bières."

Site officiel de la gueuzerie Tilquin.

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