Nous étions invités à l'ultime dégustation du BXL Beer Fest 2023, pour une sélection de six bières concoctées par les anglais de Crossover Blendery. La jeune brasserie est située dans la campagne du Hertfordshire, dans une ferme où l'installation brassicole a bien vécue, et participant au caractère des bières complexes et délicates de la brasserie, spécialisée dans la fermentation spontanée. Son cofondateur, George Stagg, nous explique qu'il refuse toutefois de comparer ses créations à nos fameuses gueuzes, notamment par l'absence de foudres ou de coolships. Son souhait était de créer des bières résolument britanniques, en employant des ingrédients rares ou méconnus, mais tous issus de petites productions locales. La bière séjourne ensuite en barriques de chêne pendant plusieurs années, rajoutant une couche de complexité. Notre maître de cérémonie nous explique qu'il trouve les barriques de whisky ou de rhum plutôt "génériques" et privilégie les tonneaux de bordeaux ou de simple chêne. Il confie également être encore un novice du monde de la bière, ayant débuté il y a cinq années à peine. Avant de passer à la dégustation proprement dite, il affirme enfin son caractère puriste, n'ajoutant rien d'autre que du fruit à ses recettes, et préfère nettoyer abondamment ses barriques après utilisation.
La dégustation débute avec "The Pershores", un mélange de trois "golden ales" d'une, deux, et trois années de maturation. La bière contient des prunes jaunes du village de Pershore, d'où son nom, et M. Stagg nous explique que ce fruit n'est plus vraiment à la mode car trop acide. Un candidat idéal pour une bonne bière donc ! Cette dernière est plutôt sèche avec un pic d'acidité furtif. Cette acidité s'étend toutefois en fin de bouche, et s'accroche au palais pour un côté râpeux et tranchant. Comme prévenu, le fruit n'adoucit pas le mélange et au contraire, renforce son acidité marquée.
Nous poursuivons avec "Alto", cette fois une combinaison de deux golden ales seulement, vieilles de deux et trois ans. La bière dispose d'un parfum très frais grâce à son dry-hopping de houblon "Harlequin", récolté à quelques kilomètres de la brasserie. En contraste à bien des souches britanniques, ce houblon est plutôt tropical, donnant des senteurs de pêche à ce breuvage. La bière parait également épicée, et subtilement minérale, comme pour trancher avec la douceur de son corps, plutôt rond. Très fraiche et très buvable !
"Mr. Trollop" poursuit notre découverte et fait revenir le fruit, cette fois le coing. Lui aussi plutôt délaissé, il se marie à un blend de diverses golden ales âgées d'un an, lui conférant une acidité très citrique, comparable à un jeune lambic ! Elle est également plutôt sèche en bouche, et ses arômes sont étonnants, difficiles à rattacher à quoique ce soit. Avec ses 6.3%, elle est aussi un peu plus robuste que la plupart de nos lambics. Le tout contribuant à façonner une bière de caractère à l'acidité agressive.
Nullement un hommage à une icône du rock, "The Stones" référencie plutôt l'utilisation de drupes (en anglais "stone fruits"), un ensemble de fruits à noyaux. Ici, c'est une nouvelle fois la prune qui est mise à l'honneur, mais aussi l'utilisation de pinot noir, cultivés tous deux en Angleterre. Forte de 7,7% d'alcool, c'est la bière la plus forte de cette dégustation, ce qui lui confère aussi une belle rondeur et un côté plus doux que ses comparses. Loin de tout miser sur sa douceur, elle offre un beau bouquet bien complexe d'arômes tirant vers un final plutôt sec, rappelant donc... le vin ! Son acidité est plus sournoise également, survenant une fois que la douceur du fruit est passée.
Avant-dernière sur la liste, la "Damascene" redescend l'alcool d'un petit degré et quelques, et met une nouvelle fois la quetsche à l'honneur, d'une variété différente et oubliée baptisée "damascene". Mais ce qui la différencie de ses sœurs, c'est l'emploi de nombreux grains pour confectionner l'épine dorsale de cette bière. Outre l'orge maltée et le froment, communs pour le style, de l'avoine et du seigle ont également été employés pour obtenir une bière à la fois ronde et sèche, à la belle robe rosée.
On termine le bal avec la "Little Moor", à nouveau un mélange de golden ales d'un, deux et trois ans. Des cerises griottes sont ajoutées à la recette, un fruit que notre hôte décrit comme plutôt délaissé au profit de cerises plus douces... Même si les griottes trouvent ici une place de choix au sein de nos krieks! La bière, à la belle robe rouge, parait plus douce que toutes les autres, sans toutefois basculer du côté "pastry" de la force. La vanille et la cannelle ne font pas partie des ingrédients, pourtant, on jurerait y déceler quelques notes timides en humant le parfum subtil de cette vraie-fausse kriek. Plus délicate que gourmande, elle forme pourtant une très agréable note de fin à cette dégustation bien acide !