Japon

Découverte de la scène brassicole au Japon

Il n'est pas courant de penser au Japon lorsque l'on parle de pays traditionnellement brassicoles. Et pour cause : il a fallu attendre l'arrivée des néerlandais au XVIIe siècle pour introduire la bière sur l'archipel. Une incursion timide, presque confidentielle, puisqu'il faudra attendre le traité de Kanagawa de 1854, autorisant le commerce avec l'étranger, pour voir la véritable apparition de bières occidentales. C'est à ce moment que des brasseurs, majoritairement allemands, apporteront leurs connaissances au pays du soleil levant. Cette influence se retrouve encore aujourd'hui au sein des brasseries les plus importantes de l'archipel nippon : Asahi, Kirin, Sapporo ou Suntory vendent majoritairement des Lagers d'inspiration germanique, dont la promotion se fait au travers d'immenses enseignes lumineuses.

Les publicités géantes du quartier de Dotonbori

L'immédiat après-guerre rendait les denrées précieuses et il valait mieux garder les céréales pour l'alimentation plutôt que pour la production de bière. Ce rationnement aura donné naissance au "hoppy", une curieuse boisson ressemblant à une bière (presque) sans alcool, mélangée ensuite à du shochu, une boisson similaire au saké, mais meilleure marché et souvent plus forte. Brasser chez soi fût un processus plus laborieux encore. Jusqu'en 1994, des taxes très strictes empêchaient toute brasserie d'obtenir une licence si elle ne produisait pas au minimum 2 millions de litres de bière par an. Une contrainte importante rendant la création de petites brasseries impossibles. Depuis lors, la loi s'est assouplie pour ne demander "que" 60.000 litres de production annuelle afin d'obtenir le droit de commercialiser ses breuvages... ou 6.000 seulement s'il s'agit de "happoshu". Un happoshu, appelée aussi parfois "presque-bière", est une boisson comportant moins de 50% d'orge maltée, remplacée par des alternatives moins chères comme du riz ou du maïs. Une alternative bon marché, également moins taxée, gardant une certaine popularité auprès des japonais. Une loi également assouplie, puisqu'elle limitait l'usage d'autres ingrédients que le malt d'orge pour concocter une bière. Une énième influence germanique, marquée par une Reinheitsgebot qui a fortement contribué au style des premières bières japonaises.

Après des années d'existence timide et difficile, la craft beer japonaise (ou "ji-biru") est aujourd'hui largement plus stable, reconnue, appréciée et diverse. Plusieurs centaines de brasseries artisanales, mais également de bars spécialisés, se retrouvent aux quatre coins de l'archipel, même si c'est surtout au sein des grandes villes comme Tokyo, Osaka ou Sapporo que la scène est la plus vivace. Avant de partir vers un petit tour d'horizon de quelques bars sympathiques dans lesquelles vous pourriez vous perdre lors d'un futur voyage, une dernière anecdote historique... Saviez-vous qu'il existe au Japon une bière pour enfant? Littéralement baptisée "kodomo biru" ("bière pour les enfants"), elle est sans alcool et contient du guarana, une herbe stimulante que l'on retrouve parfois dans les boissons énergisantes. Vendue dans une bouteille en verre marron et produisant une mousse généreuse, son slogan est équivoque : "Even kids can't stand life unless they have a drink" ("même les enfants ne peuvent supporter la vie sans un verre")... typiquement japonais !

Affiche publicitaire pour de la bière pour enfants

Osaka :

Imaginez une relation analogue à Bruxelles et Anvers, ou Bruxelles et Liège, pour représenter les différences entre Osaka et Tokyo. Deux villes noires de monde, bariolées de néons, où les tendances vont et viennent à vitesse grand V. Mais Osaka se différencie souvent de la capitale par son influence américaine, évidente au sein du quartier d'America-Mura, mais aussi par la spontanéité de ses habitants. Les habitants de la préfecture du Kansai, et plus particulièrement à Osaka, sont perçus comme des bons-vivants volontiers blagueurs, moins rigides que leurs compatriotes tokyoïtes. Réputée comme la capitale gastronomique de la nation, il paraissait évident qu'Osaka ait quelques bonnes bières à offrir.

Beer Belly : s'il ne représente certainement pas la meilleure opportunité pour découvrir l'ensemble de ce que la scène brassicole nippone a à offrir, le taproom lié à la brasserie Minoh reste une excellente adresse pour déguster des recettes simples et bien faites. De l'équipement brassicole est visible au travers des vitres de ce bar de taille modeste, et des snacks gourmands accompagneront vos pintes à merveille. La culture japonaise en matière de boisson pourrait se résumer par l'adage : "qui boit, dîne", comme il est traditionnel de le faire au sein des izakaya, ces bars de quartiers où l'on partage des petits plats entre amis. Ne soyez donc pas surpris de retrouver fréquemment des mentions de nourriture au sein de cette sélection !

Le comptoir du Beer Belly

Impossible de ne pas échanger quelques mots sur la brasserie Minoh proprement dite : officiellement lancée en 1996, c'est l'une des plus anciennes brasseries artisanales du pays encore en activité. Elle tranche aussi avec l'image encore tristement masculine de ce milieu : Oshita Masaji, alors propriétaire d'une boutique de spiritueux, était lassé de l'offre restreinte en matière de bière japonaise. Il a alors décidé de profiter des nouvelles lois plus souples pour créer sa propre brasserie, et offrir à sa fille Kaori la place de maîtresse-brasseuse, alors qu'elle n'était encore qu'étudiante. Totalement inexpérimentée, les premières années furent difficiles, tant les recettes paraissaient mauvaises face à l'offre des grands groupes brassicoles. Après beaucoup d'expérimentations, de bricolage, de conseils de brasseurs plus expérimentés et beaucoup de travail, la jeune brasserie est désormais une institution nippone, ayant remporté plusieurs prix. Les deux autres filles d'Oshita Masaji, Mayuko et Nozomi Katsumi, ont depuis rejoint l'aventure aux côtés de leur ainée. Une plaque commémorative à l'image du père, décédé en 2012, trône encore près de l'entrée du bar Beer Belly.

Affiche commémorative en la mémoire du fondateur de Minoh Brewery

Tokyo :

il est difficile, si pas impossible, de décrire la capitale japonaise en quelques mots seulement. Gigantesque, pleine de contrastes, fourmillant de monde, possédant des quartiers paisibles où s'étalent une ou deux dizaines de boutiques d'artisans, comme des quartiers écarlates qui ne dorment jamais. Face à un tel titan, où se mêlent les tendances et influences les plus diverses, il paraissait inévitable que la bière artisanale pointe le bout de son nez, pour un panel de saveurs inégalé. Peu importe le temps ou le nombre de voyages : Tokyo saura toujours vous surprendre.

Beer Pub Camden : dans le quartier très animé d'Ikebukuro se trouve ce petit bar, presque caché au milieu de la jungle urbaine. Il faut grimper au deuxième étage en empruntant une cage d'escalier peu invitante, pour ensuite se retrouver face à un petit havre de paix, rempli de bouteilles vides des quatre coins du monde ainsi que de littérature dédiée à la bière. Si le bar fut l'un des premiers à proposer du Brewdog au Japon, en atteste d'ailleurs sa décoration, sa modeste carte propose aujourd'hui huit bières au fût divisées en références japonaises et américaines. Si vous parvenez à vous lasser, leurs frigos sont généreusement garnis de bières en tout genre... y compris du belge, naturellement !

Comptoir du Beer Pub Camden

Tap & Crowler : au sein de mégalopoles aussi peuplées, la place vient souvent à manquer, générant des milliers de bars et de boutiques minuscules s'entassant souvent les uns sur les autres. Il n'est donc guère étonnant de retrouver un si petit établissement dans le quartier mythique de Shibuya. Ce qu'il manque en place, Tap & Crowler le rattrape aisément dans sa sélection : quinze bières au fût, presque toutes japonaises, si ce n'est pour deux petits stouts américains. Entre saison, wheat ale, pilsners et acides, il y en a vraiment pour tous les goûts ! Le patron, surnommé "DJ Takoyaki", connait aussi bien ses produits qu'il est sympathique. Mais, manque de place oblige, vous ne trouverez pas de nourriture ici... De quoi faire de la place pour deux frigos, bien généreux aussi !

Taplist du Tap & Crowler

Craft Beer Bar Ibrew : si Tap & Crowler paraissait petit, Ibrew pourrait bien vous rendre claustrophobe ! Mais si ce bar peu lumineux peut faire peur en vous entassant autour de son petit comptoir en U, sa sélection vous motivera à rester de longues heures durant. Sans bien savoir comment, ce sont 40 bières à la pompe qui vous sont proposées... avec une attention toute particulière pour les bières nippones. Généralement plutôt sages et authentiques, les brasseries japonaises choisies sont ici plus créatives, proposant ainsi une DIPA mangue/piment, une ambrée aux huîtres fumées ou encore un chai milk stout. Chacune des bières proposent un accord, non pas avec un met, mais avec un album ! Ce qui ne doit pas vous freiner de commander un snack pour contrer les effets de l'alcool... Tout est préparé devant vous, pour un résultat à tomber.

Un flight proposé au bar IBREW

Craft Beer Bar Pump : la vitrine affiche fièrement "depuis 2014", et la décoration témoigne de l'amour de l'équipe pour la bière artisanale. Plaques, néons, sous-bocks, étiquettes de fûts... Tout est prétexte à décorer ce bar de quartier aux couleurs de notre boisson favorite. 14 bières au fût, avec là aussi une abondance de références japonaises, même si l'influence américaine se fait nettement plus sentir avec quatre bières en provenance des Etats-Unis. La carte est également très américaine et ne s'en cache pas : tacos ou hotdogs remplacent les kushikatsu ("brochettes") typiques des izakaya. Aucune raison de se méfier toutefois... Le format est petit, mais la nourriture est très bonne et accompagne les bières à la perfection. Une fois encore, on espère que vous aimez les IPAs... Mais une petite weizen, une saison fruitée ou encore un gruit à l'earl grey pourront également combler vos attentes.

Comptoir du Pump Craft Beer Bar

Kyoto : 

Véritable carte postale, la ville de Kyoto et ses quartiers traditionnels représentent sans doute la quintessence de l'image occidental du Japon. "Entre tradition et modernité", la phrase parait clichée, mais elle ne pourrait mieux décrire l'ancienne capitale. D'un côté du pont de la rivière Kamo se trouve le quartier de Gion, le quartier des geisha, où l'on peut voir moult temples ou louer un kimono pour arpenter les rues le temps d'une journée. De l'autre côté : une longue rue commerciale où se trouve d'innombrables magasins à plusieurs étages et des boutiques de luxes. Au milieu de tout cela se trouve quelques belles adresses où déguster une bonne bière... accompagné d'un repas tout aussi succulent.

Craft House Kyoto : proche du pont, et donc un peu éloigné de la cohue des grands magasins, se cache un bar résolument moderne à la cuisine consistante et presque gourmet. Idéal après une journée à arpenter le quartier de Gion et ses nombreux temples, la "craft house" propose une douzaine de références au fût. Seul un cidre américain vient jurer avec la sélection japonaise de la maison, comportant toutes sortes de styles : farmhouse ale, witbier, rauchbier... et même un "belgian stout" et une ale à la levure de saké !

Entrée de la Craft House Kyoto

Beer Pub Takumiya : à un jet de pierre du musée international du manga se trouve ce petit café très tranquille. Son décor modeste tranche avec sa carte, composée uniquement d'IPAs audacieuses lorsque nous y sommes passés. Toutes japonaises, les recettes lorgnent des deux côtés des Etats-Unis, proposant aussi bien des West Coast IPAs piquantes et rafraichissantes comme des NEIPAs juteuses. Pour calmer cette orgie de houblons, différents plats, plus ou moins copieux, viendront apaiser vos papilles. L'assiette mixte est particulièrement recommandable, mais si le mal du pays vous gagne, sachez qu'ils proposent également... des frites !

Assiette mixte au Beer Pub Takumiya

Cette sélection n'a bien sûr rien d'exhaustif, tant elle se focalise sur les trois grandes villes prisées par les touristes au Japon. Mais un détour du côté de Nagoya, Sapporo ou Yokahama offrirait certainement d'autres merveilles. Inutile aussi de préciser qu'en dehors de la bière, le Japon produit aussi une sélection affolante de saké (baptisés "nihonchu" en japonais... sake désignant les boissons alcoolisées de manière générale !), mais aussi de prodigieux whiskies. Il ne nous reste plus qu'à vous dire kanpai !

Vieilles affiches publicitaires pour Kirin

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